Culture

Australie : Quand le plastique résonne dans le ventre des oiseaux marins

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Île Lord Howe, Australie – Dans les eaux turquoises du Pacifique, à 600 kilomètres des côtes australiennes, se dresse l’île Lord Howe, un sanctuaire naturel classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce paradis écologique, refuge de plus de 130 espèces d’oiseaux, est aujourd’hui le théâtre d’un drame silencieux : des centaines de milliers d’oiseaux marins meurent chaque année, le ventre rempli de plastique. Une étude récente a révélé des chiffres qui donnent froid dans le dos : jusqu’à 778 fragments de plastique retrouvés dans le système digestif d’un seul oisillon.

Une île paradisiaque devenue piège mortel

L’île Lord Howe est considérée comme le haut lieu de l’ornithologie australienne. Chaque année, des centaines de milliers d’oiseaux marins viennent y nicher, dont 14 espèces différentes. Parmi elles, le puffin noir, un oiseau au plumage sombre et au bec recourbé, emblématique de l’île. Malheureusement, ces oiseaux sont aussi les premières victimes de la pollution plastique qui envahit les océans.

Depuis près de vingt ans, les chercheurs de l’Adrift Lab, un laboratoire spécialisé dans l’étude des déchets marins, surveillent l’impact des plastiques sur la faune de l’île. Leurs dernières découvertes sont alarmantes. Non seulement les oiseaux ingèrent des quantités astronomiques de plastique, mais ces débris sont désormais si nombreux dans leur estomac qu’ils produisent des sons audibles lorsque l’on presse leur abdomen.

778 fragments de plastique : le record macabre d’un oisillon

Lors d’une récente expédition, les scientifiques ont découvert un oisillon dont l’estomac contenait 778 fragments de plastique. Un chiffre qui pulvérise le précédent record de 403 morceaux, établi il y a quelques années à peine. « C’est incroyablement choquant de voir cela de près », explique Alix Jersey, chercheuse à l’Université de Tasmanie. « Il y a tellement de plastique à l’intérieur de ces oiseaux qu’on peut littéralement le sentir sous leurs plumes. Quand on appuie sur leur ventre, on entend les morceaux s’entrechoquer. »

Pour sauver ces oiseaux, les chercheurs ont développé une technique de régurgitation forcée. À l’aide d’un fin tuyau, ils irriguent lentement l’estomac des puffins, provoquant un réflexe qui les pousse à rejeter les fragments de plastique. « Ce n’est pas une procédure agréable pour l’animal, reconnaît Alix Jersey. Mais c’est un soulagement de savoir qu’il pourra repartir en migration sans ce poids mortel dans le ventre. »

Pourquoi les oiseaux mangent-ils du plastique ?

La question reste entière : comment des animaux aussi adaptés à leur environnement en viennent-ils à ingérer autant de plastique ? La réponse est double.

D’abord, les oiseaux marins confondent les débris plastiques avec leurs proies naturelles, comme les petits poissons ou les calamars. Ensuite, et c’est peut-être le plus tragique, le plastique en mer développe une odeur attractive. Les algues et micro-organismes qui s’y accrochent libèrent des composés sulfurés, similaires à ceux émis par le krill et autres organismes dont se nourrissent les oiseaux.

« Le plastique devient une sorte de super-stimulus, explique le Dr. Chris Wilcox, chercheur à l’Adrift Lab. Les oiseaux ne peuvent tout simplement pas résister à cette odeur qui, pour eux, signifie nourriture abondante. »

Un problème qui dépasse les oiseaux de Lord Howe

Si l’île Lord Howe est un cas d’école, le phénomène est mondial. En novembre 2018, un cachalot s’est échoué sur les côtes indonésiennes avec près de six kilos de plastique dans l’estomac. Parmi les débris retrouvés : 115 gobelets, 25 sacs, plusieurs bouteilles et même un sac rempli de plus de mille morceaux de ficelle.

La même année, un globicéphale, une espèce de baleine menacée d’extinction, a rejeté cinq sacs plastiques avant de mourir sur une plage thaïlandaise. L’autopsie a révélé que son estomac contenait 80 sacs et autres résidus plastiques, pour un total de huit kilos.

Ces cas ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Selon l’ONG Oceana, l’équivalent de deux camions-bennes de plastique est déversé dans les océans chaque minute. À ce rythme, il y aura plus de plastique que de poissons dans les mers d’ici 2050.

L’urgence d’une réponse politique

Face à cette crise, les Nations Unies ont adopté en 2022 une résolution promettant un traité mondial contraignant contre la pollution plastique. L’objectif était d’aboutir à un accord d’ici fin 2024. Mais les négociations patinent, bloquées par des intérêts économiques et politiques.

« Nous avons les preuves scientifiques, nous avons les solutions techniques, déplore Maria Santos, experte en politiques environnementales. Ce qui manque, c’est la volonté politique de les mettre en œuvre. »

Parmi les mesures urgentes proposées par les scientifiques :

  1. Interdire les plastiques à usage unique les plus dangereux
  2. Améliorer les systèmes de collecte et recyclage à l’échelle mondiale
  3. Développer des alternatives biodégradables crédibles
  4. Sensibiliser les consommateurs à réduire leur empreinte plastique

Que pouvons-nous faire ?

Si la solution systémique doit venir des gouvernements et des industries, chacun peut contribuer à réduire la pollution plastique :

  • Privilégier les produits sans emballage ou avec emballage recyclable
  • Participer aux nettoyages de plages et cours d’eau
  • Soutenir les organisations qui luttent contre la pollution marine
  • Éduquer les jeunes générations sur les impacts du plastique

L’île Lord Howe et ses puffins noirs sont un signal d’alarme. Leur sort nous rappelle que la pollution plastique n’est pas un problème lointain ou abstrait, mais une crise immédiate qui affecte déjà des écosystèmes entiers. À nous d’agir avant qu’il ne soit trop tard.

Sources scientifiques : Adrift Lab, Université de Tasmanie, Oceana, National Geographic

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